Accéder au contenu principal

Conduites addictives chez le médecin anesthésiste


 Bonnet1, L. Beaujouan2, M. Chandon3, J-L. Pourriat4

1 Département d'anesthésie-réanimation, hôpital Tenon, 4 rue de la chine, 75970 Paris cedex 20 ; 2 Mission sida/addiction ; 3 département d'anesthésie-réanimation, hôpital Saint-Antoine, 184, faubourg Saint-Antoine, 75571 Paris cedex 12 ; 4 service d'accueil d'urgences, Hôtel-Dieu, 1, place du Parvis Notre-Dame, 75004 Paris cedex, France
e-mail : francis.bonnet@tnn.ap-hop-paris.fr

POINTS ESSENTIELS

· La dépendance vis-à-vis d'un agent addictif implique la recherche compulsive de cet agent, une consommation croissante et un syndrome de sevrage à l'arrêt.
· Les conduites addictives aux agents anesthésiques sont plus fréquentes chez les médecins en formation.
· La mise en évidence d'une addiction en milieu anesthésique est difficile et se fait sur des anomalies du comportement professionnel. Le déni fait partie du syndrome. Les agents utilisés sont multiples et souvent associés entre eux.
· Le toxicomane en milieu professionnel est une personne en danger. Le risque de décès est de l'ordre de 15 % à 5 ans, plus élevé en cas de récidive de l'addiction.
· Les médecins toxicomanes nécessitent une prise en charge en milieu spécialisé qui devrait leur permettre à terme une réinsertion et une réorientation professionnelles.
L'anesthésie et la réanimation sont à bien des égards des métiers difficiles, faits de contraintes et de stress. Ces caractéristiques sont partagées par de nombreuses autres professions de santé. Cependant dans le milieu anesthésique, des agents psycho-actifs hautement toxicomanogènes sont à la disposition des praticiens pour leur usage professionnel. La facilité d'acquisition et d'utilisation de ces agents fait courir un risque particulier aux professionnels, médecins et infirmiers, travaillant en milieu anesthésique, et susceptibles de développer une toxicomanie. L'exposition quotidienne aux substances toxicomanogènes pose également de difficiles problèmes de réinsertion professionnelle lorsque la toxicomanie est avérée et traitée.
L'addiction ou toxicomanie aux agents anesthésiques, dont il est fait un usage illicite, ne représente toutefois qu'une partie du problème des dépendances chimiques qui incluent, bien entendu, les drogues licites que sont le tabac et l'alcool, mais aussi d'autres agents de la pharmacopée comme les antidépresseurs et les sédatifs.
Dans la société se sont même développées d'autres formes de comportements dépendants, comme ceux suscités par une activité sportive intense, l'usage de l'Internet et d'autres nouveaux moyens de communication et même la dépendance au travail (workalcoholic) qui peut conduire à des situations d'épuisement professionnel qualifié de « burn out syndrome ». Dans tous les cas, ce qui caractérise la dépendance c'est le caractère compulsif de la recherche d'un produit ou de la pratique d'une activité, l'usage croissant qui en est fait et l'apparition d'un ensemble de troubles et symptômes lors de l'arrêt de la consommation ou la cessation de l'activité. La dépendance est distincte de l'usage abusif (substance abuse), qui n'implique pas la recherche compulsive mais qui peut constituer une étape préliminaire avant la dépendance. Ainsi peut-on remarquer que dans la population des médecins devenus toxicomanes on retrouve plus fréquemment dans les antécédents, un usage à visée récréative de substances psycho-stimulantes que dans la population médicale de référence [1] [2] [3].

QUELLE EST LA PRÉVALENCE DE LA TOXICOMANIE
EN MILIEU ANESTHÉSIQUE ?

L'importance du phénomène n'est pas encore connue en France à l'heure où ces lignes sont écrites, mais devrait l'être prochainement du fait des résultats d'une enquête nationale. Il en est de même dans plusieurs pays européens, où chacun sait que le phénomène existe mais personne ne peut le quantifier. Même aux États-Unis où le problème a beaucoup plus été pris en compte et étudié, la plupart des publications sur le sujet datent des années 1970-1980, sans que l'on dispose de données actualisées. Cependant, de nombreux médecins ont connu au cours de leur carrière professionnelle, au moins un collègue qui avait un comportement addictif vis-à-vis des agents anesthésiques et analgésiques. Ainsi, près d'un enseignant universitaire d'anesthésie-réanimation sur deux, interrogé en mai 2001 sur ce sujet (communication personnelle), déclare avoir eu connaissance d'au moins un cas parmi les internes ou résidents qui lui ont été confiés au cours des dix dernières années. En rapportant le nombre de cas à celui de l'ensemble des internes formés en anesthésie au cours de la même période, la prévalence serait au minimum de 1 % et vraisemblablement supérieure compte tenu du caractère rétrospectif du témoignage. L'enquête nationale en cours de dépouillement devrait apporter des renseignements plus précis sur ce sujet. La littérature anglo-saxonne estime que 1 à 3 % des médecins anesthésistes en exercice seraient concernés par l'abus ou la dépendance aux substances psycho-actives [4] [5] [6]. Ce chiffre serait plus élevé chez les résidents en anesthésie, pouvant atteindre jusqu'à 5 % [1] [7] [8].
Une des questions qui revient dans la littérature anglo-saxonne est de savoir si les médecins ou les résidents en anesthésie ont plus souvent des conduites addictives que d'autres praticiens généralistes ou spécialistes. La réponse à cette question est difficile à donner. Dans certains centres nord-américains de prise en charge des médecins toxicomanes, il est rapporté une proportion d'anesthésistes plus élevée parmi les médecins traités, que ne le laisserait supposer le pourcentage des anesthésistes dans la population médicale générale [2] [9] [10] [11] [12]. Cependant ces données sont considérées comme erronées par d'autres, car pouvant de ce fait, faire l'objet de biais de recrutement [13]. En effet, il est possible que la toxicomanie chez les médecins anesthésistes soit plus « apparente » ou conduise plus facilement à une prise en charge thérapeutique, du fait des enjeux, que chez d'autres médecins. Le travail en collectivité et l'interface obligatoire des médecins anesthésistes avec d'autres professionnels (infirmières, chirurgiens) pourrait permettre de dépister plus facilement les médecins toxicomanes que dans le cadre de spécialités ayant un exercice isolé. Il n'est donc pas prouvé que l'usage de substances psycho-stimulantes soit plus important chez les médecins anesthésistes que chez les chirurgiens ou les médecins généralistes, même si le choix des substances concernées est éventuellement différent. La comparaison avec la population générale est encore plus difficile si tant est qu'elle ait un sens.
Cependant, l'enquête de mortalité récente, effectuée dans la population des médecins anesthésistes nord-américains, comparée à celle des médecins internistes, faisait apparaître une mortalité « en excès » chez les anesthésistes en raison du taux de suicides (2 % des décès versus 1 % chez les médecins internistes) et des « conduites à risques » quel que soit leur type. Il faut noter que la mortalité des médecins anesthésistes restait inférieure à celle de la population générale dans les mêmes tranches d'âge, bien que cette étude n'ait pas considéré la mortalité observée dans des milieux de même niveau social [14].

QUELS SONT LES SIGNES ET SYMPTÔMES RETROUVÉS
CHEZ LES MÉDECINS AYANT UNE CONDUITE ADDICTIVE ?

La toxicomanie s'associe et provoque des troubles du comportement qui ne vont qu'en s'aggravant au fil du temps et conduisent un jour ou l'autre au diagnostic. Cependant le déni de ces comportements et de la toxicomanie elle-même, est pratiquement constant chez les toxicomanes et fait partie intégrante de la symptomatologie. Pour établir le diagnostic, il est donc illusoire d'attendre des aveux de la part des toxicomanes et il importe de recueillir d'autres preuves. La liste des anomalies du comportement, observées chez les toxicomanes, est cependant assez stéréotypée ; elle comprend :
- des changements d'humeur (dépression, anxiété, euphorie) au cours d'une même journée ;
- des absences répétées et inexpliquées ;
- des sorties fréquentes de salle d'opération en cours d'anesthésie ;
- une préférence marquée pour la pratique de l'anesthésie en solitaire ;
- la présence nocturne à l'hôpital en dehors des périodes de garde ;
- des absences réitérées de réponse aux appels pendant les gardes ;
- l'allégation de problèmes de santé multiples, personnels ou familiaux justifiant éventuellement « l'emprunt » d'opiacés.
Les médecins ayant des conduites addictives avec les agents anesthésiques, détournent à leur profit les agents normalement administrés aux patients. En témoignent notamment, des négligences répétées quant au relevé de l'information normalement reportée sur les feuilles d'anesthésie, le fait que les patients présentent des douleurs postopératoires excessives ou inhabituelles ou des signes de réveil au cours de l'anesthésie, ou le fait que ces patients aient une prescription d'analgésique sans commune mesure avec la douleur attendue.
Les comportements précédemment décrits ne sont pathologiques que du fait de leur répétition. Cependant, malgré la réitération de ces comportements, le délai écoulé entre le début de la toxicomanie et son identification est souvent long, de plusieurs mois à plusieurs années. En fait, la découverte est souvent fortuite soit à l'occasion de procédures routinières de contrôle des stocks médicamenteux soit, et surtout, du fait de la présence en salle d'un auxiliaire d'anesthésie.
Une forte prédominance masculine est notée chez les anesthésistes toxicomanes. Les études portant sur les profils de personnalité retrouvent des caractéristiques non spécifiques au milieu professionnel (antécédents familiaux de toxicomanie ou de maladie psychiatrique, divorce, difficultés d'insertion professionnelle, etc.) mais qui sont habituellement considérées comme des facteurs de risque [1] [15].
La particularité de l'addiction en milieu anesthésique est l'usage des opiacés par voie intraveineuse [10] [16] [17]. Cet usage répété conduit à une dépendance et à une tolérance, de telle sorte que les quantités détournées par les toxicomanes augmentent avec le temps. L'alcool est également très souvent le premier agent toxicomanogène. En fait, les usagers de substances psycho-actives consomment régulièrement plusieurs types de substances (voire de multiples substances), dont l'une d'entre elles est prédominante. Les substances consommées sont donc, outre les opiacés, les benzodiazépines, les neuroleptiques, le protoxyde d'azote, la kétamine et même le propofol. Toutes ces substances, malgré les effets de l'accoutumance, font courir un risque vital aux toxicomanes, notamment en raison du risque de surdosage ou d'erreur d'administration (par exemple : injection de 10 fois la dose habituelle ou injection de curares par inadvertance). Le risque de décès est estimé de 10 à 15 % sur 5 à 10 ans, ce qui est considérable. Les décès peuvent être liés à une overdose accidentelle ou volontaire [4] [18]. Le taux de suicides est en effet plus élevé chez les médecins toxicomanes [19] [20].

QUELLE EST LA CONDUITE À TENIR QUAND,
DANS L'ENTOURAGE PROFESSIONNEL, UN MÉDECIN
ANESTHÉSISTE A UNE CONDUITE ADDICTIVE ?

Un médecin anesthésiste toxicomane est une personne en danger, mais il fait aussi potentiellement courir un danger aux patients dont il a la charge car il ne possède plus toutes les facultés de concentration et d'assiduité nécessaires à la pratique de l'anesthésie. La découverte de la toxicomanie en milieu professionnel implique deux impératifs éthiques : il faut protéger les patients qui pourraient être victimes de pratiques anesthésiques déviantes ou d'une erreur d'attention ou de jugement de la part du médecin toxicomane, mais il faut aussi protéger le médecin lui-même qui est, répétons-le, une personne en danger, et préserver son avenir social et professionnel. La première étape est l'identification de la toxicomanie. Le déni faisant partie de la maladie, il importe de recueillir des preuves formelles de la toxicomanie et du détournement des produits anesthésiques avant d'affirmer le diagnostic devant la personne concernée. La confrontation du toxicomane avec les faits devrait se faire en présence de plusieurs personnes. On peut ainsi imaginer qu'en fonction des circonstances, le chef de service ou le responsable médical, le médecin du travail, le médecin conciliateur, le président de la CME... sont les deux ou trois personnes habilitées à participer à cette confrontation restreinte qui requiert bien entendu un minimum de confidentialité. La révélation de la toxicomanie devrait pouvoir être suivie de la proposition d'une prise en charge immédiate en milieu spécialisé ou tout au moins de la proposition de l'assistance d'un psychiatre. Il n'existe pas en France de réseau de soins organisé qui réponde spécifiquement à ce problème et même les psychiatres consultés n'ont souvent qu'une expérience relative du problème. Il serait donc souhaitable d'envisager que dans chaque région existe une structure de référence pour faire face aux cas révélés. La mise en place d'une telle structure dépend de l'importance du phénomène, actuellement en cours d'évaluation.
À plus long terme se pose le problème de la réinsertion ou de la réorientation professionnelle. Si les programmes de prise en charge nord-américains mettent en avant leurs succès en matière de traitement de la toxicomanie avec des résultats favorables, atteignant 80 % des cas, on peut remarquer que la réinsertion professionnelle en anesthésie ne concerne, au mieux, que la moitié des sujets traités, que ce pourcentage chute à 30 % lorsqu'il s'agit d'usagers d'opiacés par voie intraveineuse et que ce qui est qualifié de réinsertion professionnelle se traduit souvent en pratique par une éviction du bloc opératoire [21] [22]. Chez les résidents, le taux d'échecs est encore plus élevé puisque deux sur trois rechutent après leur réinsertion en anesthésie et que dans un quart des cas cette rechute aboutirait au décès par suicide [9]. Le « dépistage » précoce des internes ou des résidents avant leur entrée définitive dans la vie professionnelle est donc important. On peut estimer que toutes les possibilités de réorientation vers des postes ou des professions moins exposés, doivent être explorées au cours ou au décours du traitement des sujets concernés.

Y A-T-IL UNE POLITIQUE DE PRÉVENTION POSSIBLE ?

Toutes les politiques coercitives, visant à un contrôle drastique de la délivrance des agents anesthésiques sont parfaitement justifiées dans le cadre de procédure d'assurance-qualité, mais n'ont probablement que très peu d'impact sur la possibilité pour les toxicomanes de se procurer ces mêmes agents [23] [24].
Les causes de la toxicomanie étant multiples, les facteurs liés au parcours personnel de chaque individu sont bien évidemment au-delà des mesures de prévention collective. Le fait que la prévalence soit plus élevée chez les internes et résidents a soulevé la question d'un possible choix de la spécialité d'anesthésie, déterminé par l'accès facile aux substances psycho-actives [2] [10]. Cette hypothèse est peu crédible et ne concernerait probablement, si elle était vérifiée, que quelques cas isolés. Il est à l'inverse possible que les conditions de travail et l'environnement favorisent l'évolution vers la toxicomanie de certains internes [25]. On pourrait ainsi suggérer que, dès le début de leur internat, alors qu'une réorientation professionnelle est plus facilement envisageable, les internes en anesthésie aient un entretien systématique avec leur coordinateur d'enseignement, pour évaluer leur adaptation au milieu et les difficultés qui pourraient éventuellement en découler. D'une façon plus générale, si l'on admet que des facteurs liés aux conditions de travail peuvent favoriser la toxicomanie, toutes les initiatives visant à baisser le niveau des pressions et des contraintes sont bienvenues, notamment celles qui visent à réduire les conditions d'exercice dans l'isolement.

CONCLUSION

Une forte sensibilisation ou mobilisation des services d'anesthésie (notamment universitaires) autour de ce problème semble souhaitable car elle pourrait amener à un dépistage plus efficace des sujets toxicomanes et à une prise en charge plus précoce et mieux adaptée

Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

آفرینک | تماشای آنلاین انیمیشن و کارتون

https://afarinak.com/tags/%D8%A7%D9%86%DB%8C%D9%85%DB%8C%D8%B4%D9%86-%D9%87%D8%A7%DB%8C-%D8%A8%D8%B1%D9%86%D8%AF%D9%87-%D8%A7%D8%B3%DA%A9%D8%A7%D8%B1/ https://afarinak.com/tags/%D9%BE%D8%B1%D9%81%D8%B1%D9%88%D8%B4%D8%AA%D8%B1%DB%8C%D9%86-%D8%A7%D9%86%DB%8C%D9%85%DB%8C%D8%B4%D9%86-%D9%87%D8%A7%DB%8C-2016/ https://afarinak.com/tags/best-animated-movies-2017/ https://tidano.com/ https://funibo.com/ http://www.aparat.com/afarinak https://t.me/joinchat/AAAAAD67ZyQn7_qBcGjPgw https://www.instagram.com/afarinak_com/ https://twitter.com/afarinak

Biden Trolls Trump With We Just Did Merch

Here's the place where to purchase the 'we just did 46' hat that has Joe Biden fans inquisitive on Twitter. This is what it implies. There are shirts to purchase as well. We Just Did 46 Hat Official -  https://teechip.com/we-just-did-46-hat-official The expectation was through the rooftop however the outcome was at last reached on Saturday, November seventh 2020. Joe Biden has won the US official political decision and will be initiated as the 46th president on Wednesday, January twentieth 2021. His allies were celebrating and running to online media to share their contemplations over the weekend and many have just communicated their high expectations. As featured by CNN Politics, he gave a triumph discourse in his old neighborhood of Wilmington, Delaware, in any event, tending to the individuals who didn't cast a ballot him in: "I comprehend the failure today. I've